Le jeu de l'amour et du hasard
Acte I Scène 4

I Un secret partagé
II Le pacte des complices : Orgon et Mario, maîtres du jeu
III Le savoir partagé ou la délégation de l'instance spectatorial

Introduction
Le jeu de l'amour et du hasard est une comédie en trois actes qu'écrit Marivaux pour les comédiens italiens qui la représentèrent pour la première fois le 23 janvier 1730. Marivaux écrit l'essentiel de ses comédies pour la comédie italienne qui avait redécouvert ses portes en 1716. Inspiré qu'il était, de Gianetta Benazziti dit Silvia qui fut pour lui une interprète idéale. Parmi les nombreuses comédies écrites par Marivaux, le Jeu de l'Amour et du hasard est considéré comme le chef-d'œuvre de cet auteur qui conduisit, outre sa carrière de dramaturge, une carrière de journaliste.
A la scène 2 de l'acte I, nous apprenons que Silvia projette de se travestir et de prendre la place de sa servante afin de mieux connaître son prétendant avec l'accord de son père, monsieur Orgon. Ici dans l'acte I scène 4, M. Orgon livre le secret du double travestissement à son fils Mario (secret partagé). Il y a une complicité des deux car ils ne révèlent pas la vérité à Silvia. Il y a aussi une complicité du public. Ils sont les maîtres du jeu et vont regarder le jeu. Mario et M.Orgon sont les délégués de l'inconstance spectatorial (du public) car ils peuvent intervenir dans l'action.


I Un pacte partagé

1) Le secret

Le secret est la résultante du pacte des pères, révélé par la citation de la lettre du père de Dorante. La lettre porte sur un pacte préalable des pères : la liberté. (Ce qui n'est pas conforme aux normes de la société) : " […] Suivant la liberté que nous sommes convenus de leur laisser… " ce n'est pas la société qui fait obstacle mais les futurs époux, par leur inquiétude : " Mon fils sait combien l'engagement qu'il va prendre est sérieux… "

2) Pacte de complicité/secret

Le secret est présent puisque qu'on a le langage du secret : "En prenant la précaution de vous avertir, quoiqu'il m'ait demandé le secret de votre côté " ; " je commence pour vous recommander d'être discret sur ce que je vous dire… "
Cette lettre rend complice Orgon pour Dorante mais il pouvait le dire à Silvia (et finalement non). Le secret est partagé à trois.

3) Une inspiration, le jeu divin

Orgon ne révèle pas le secret à Silvia pour que la pièce puisse continuer. L'intrigue devient un jeu pour Orgon et Mario.
On retrouve le mot "comédie " mais cette comédie est face à Dieu ; de l'amour => Inspiration (du stratagème) vient de Dieu
En effet, cette inspiration divine et le jeu sont évoqués par Mario : " Ma foi… ", "inspiré ", "laissons donc faire "
(topos theatrum mundi)

II Le pacte des complices : Orgon et Mario, maîtres du jeu

1) Orgon et Mario, posés en spectateurs

On a d'abord le verbe voir : " Voyons si leur cœur… ", " nous verrons un peu ". De plus Mario et Orgon expriment un code de valeur "voyons si leur cœur ne les avertirait pas de ce qu'ils valent ". Ici, deux valeurs sont énoncées : valeur sociale et valeur morale. En outre, le terme du jeu est présent dans les discours des deux personnages : " ce n'est pas le tout …la même comédie ".
Ces deux personnages sont des acteurs mais ce sont aussi des spectateurs dits "internes ".

2) Les spectateurs internes

En effet, ils peuvent intervenir dans l'intrigue. Par exemple, ils interviennent à l'acte I, scène 6. Mario oblige le tutoiement entre Dorante et Silvia.
Cependant, ils sont aussi instigateurs.

3) Les metteurs en scène

Ils jouent le jeu car ils jouent le rôle de metteur en scène "tireur de marionnettes " à l'envi (au XVIII°s, le metteur en scène était l'auteur)
En conclusion, Mario et Orgon peuvent avoir trois fonctions :
- délégués des spectateurs
- metteurs en scène/ auteurs
- acteurs

La dupe, tout au long de la pièce, est finalement Dorante.


III Le savoir partagé ou la délégation de l'instance spectatoriale

1) Le théâtre dans le théâtre

Il y a une certaine mise en abîme (consiste dan s une œuvre artistique à inscrire en petit l'œuvre elle-même mais qu'elle soit équivalente- ex : la vache qui rit, les poupées russes)

Le jeu/ spectacle pour Orgon et Mario

Le Jeu de l'amour et du hasard

2) La spécularité

La spécularité est le fait de construire quelque chose en miroir.Cette mise en abîme est un miroir* mais un miroir tronqué puisque le spectateur ne peut agir alors que Mario et Orgon peuvent intervenir.
* miroir du spectateur (le spectateur de la salle et [Mario et Orgon])
Le jeu de l'amour et du hasard

3) La multiplication des rôles à l'intérieur et à l'extérieur

Le suspens ne porte pas sur l'intrigue mais sur les erreurs éventuelles des personnages. Le comique (au second degré) porte sur les errances des personnages. En effet, le comique va dépendre plus du savoir que de ma surprise. Le spectateur le plus expérimenté va plus rire qu'un autre spectateur car il va rire de ses erreurs du passé.


Conclusion :
La symétrie du double travestissement et la réduplication (=duplication) de l'instance des spectateurs font de cette comédie, le lieu d'une interrogation à la fois sur l'identité et le théâtre lui-même. Le spectateur, complice mais passif sait tout, mais ne peut rien tandis que ses deux délégués, par le jeu de la mise en abîme, pourront dans l'avancée de l'intrigue, le rendra nécessaire pour intervenir. Quoi qu'elle en soit, la structure dramaturgique telle qu'elle est posée dans ce début de pièce atteint dès lors une complexité extrême tout en offrant une multitude de possibilités de lecture de la pièce.