Dom Juan, 1665 (acte III, scène 1)
Molière

I Le couple grotesque
II Le comique, outil de la satire
III La dispute impossible ou l'expression de l'interrogation métaphysique


Introduction

A une époque où la société s'interroge sur le contenu de sa croyance, Molière écrit, à la suite du Tartufe, interdit deux ans plus tôt, une autre de ses comédies, qu'on qualifie de "sérieuse ", Dom Juan, pièce dont les enjeux métaphysiques ont presque éclipsé l'intérêt comique au point qui s'en fait parfois de peur qu'on ne la qualifie de tragédie.
Dans l'extrait de l'acte III, scène 1 qui nous occupe, nous retrouvons Dom Juan et Sgarnarelle dans la forêt où les a conduit leur fuite. En effet, à l'acte I de la comédie, le libertin Dom Juan, s'est vu menacé par le valet d'Elvire, femme qu'il a enlevé du couvent et abandonné après avoir obtenu ses faveurs. Après avoir échappé à un naufrage à l'acte II, ils ont dû quitter le village où Dom Juan avait été recueilli et où il a semé le désordre entre deux paysannes.
Ce début de la scène 1 de l'acte III met en évidence la relation très particulière qu'entretiennent Dom Juan et son valet Sgarnarelle qui paraît le suivre comme son ombre ou peut-être son double. Cette scène de registre comique n'en ouvre pas moins sur la véritable satire de la médecine qui est une des bêtes noires de Molière. Il reste que derrière le rire, cette scène est également l'occasion de mettre à jour une des questions fondamentales de la pièce : celle de la foi et de l'inquiétude sceptique avec laquelle Dom Juan la voit.
Ainsi, nous verrons de quelle manière la scène met en jeu le double grotesque que forme Dom Juan et Sgarnarelle avant de nous intéresser au comique. Enfin, on s'interrogera sur cette entreprise impossible de dispute dans laquelle s'engage Sgarnarelle et qui ouvre la brèche à l'expression d'une inquiétude métaphysique.


I Le couple grotesque

1) Le dialogue du maître et du valet

Il y une prise de parole équilibrée, un dialogue.
De plus le registre de langue est le même à certains égards et le dialogue ne comporte pas de distorsions (= décalage). Cependant, on retrouve l'identité de Sgarnarelle : " Moi ? ….. "
En outre, il y a un dialogue car le "je " est utilisé par Sgarnarelle et le "tu " est utilisé par Dom Juan.

2) Inversion des rôles

Sgarnarelle est habillé en médecin. Or l'habit influe sur l'art de la parole et particulièrement l'art de la persuasion de la parole mais il n'y a pas tout à fait une ressemblance entre un médecin et lui-même. En effet, Sgarnarelle parle de la médecine comme un domaine général et le contenu du discours n'est pas à la hauteur de l'habit. Ce discours porte sur la croyance "vous êtes aussi impie en médecine" et non sur le savoir. L'impiété fait basculer la scène. Puis Sgarnarelle continue de parler en utilisant un discours vague(l. 69 à 71). Ici, si on fait le détail, c'est le discours du chrétien moyen, qui va à l'église etc… On est loin discours théologique. Sgarnarelle est ridiculisé par la pauvreté de ses arguments. C'est le double grotesque.
Dom Juan …….

3) Le couple grotesque

La problématique repose sur la vanité de Sgarnarelle, l'égal de Dom Juan car il est habillé en médecin. Cependant, il parle de la médecine et de la théologie ce qui est plutôt inconciliable.
La vanité de Sgarnarelle est l'écho de celle de Dom Juan. En effet, en interdisant les remontrances, Dom Juan maintien le déséquilibre (en ce qui concerne la théologie)
D'où ce principe du couple grotesque qui a pour conséquence la comédie.


II Le comique, outil de la satire

1) Les éléments du comique dans la scène

La scène possède les trois comiques :
- comique de situation : déguisement
- comique de geste : Sgarnarelle doit faire bouger comme Arlequin
- comique verbal : Sgarnarelle et Dom Juan...


2) Par quels moyens la scène est-elle comique ?

Malgré le dialogue équilibré, il y a quand même un décalage subtil dans le discours : Dom Juan est ironique alors que Sgarnarelle est de bonne foi surtout sur l'histoire du mort (où Sgarnarelle joue sur le suspense et de ce fait, Sgarnarelle "gonfle " d'importance.

3) Modalité qui permet cette scène comique d'être une satire

Le texte est une critique de la médecine (de la ligne 29 à la ligne 36) explicite mais cette critique est attribuée à l'art médical et non aux médecins. Cette satire amène le sujet à une interrogation théologique.

III La dispute impossible ou l'expression de l'interrogation métaphysique

1) le lexique de la croyance / incroyance

On a le lexique de la croyance et de l'incroyance : " croire ", "miracle ". Ce dernier terme permet de passer de la satire à la croyance.
Sgarnarelle veut convertir Dom Juan mais il n'a que des bases populaires sur la religion : "… "
La dispute, autorisée par Dom Juan devient impossible car la question théologique est indémontrable.

2) La dispute impossible

Dom Juan refuse la dispute car il est presque silencieux. Donc la communication est impossible. De plus son silence montre qu'il croit en Dieu mais il n'ose pas l'avouer ce qui évoque un scepticisme.


Conclusion
C'est une scène très riche parce qu'à la fois, elle met en scène le couple Dom Juan/ Sgarnarelle et met en évidence la singularité des rapports. Tout en restant une scène comique, elle ouvre la porte à des interrogations plus graves. Au-delà de la satire de la médecine, c'est l'inquiétude métaphysique de dom Juan que le public aperçoit. Inquiétude qui est le véritable enjeu de la scène, même de la pièce entière.